Une histoire de chercheur de charbon.
J’ai toujours voulu être « en haut de l’échelle ».
Au début de mes études, je voulais simplement faire des études.
A la fin de la première année, je
voulais déjà faire un doctorat, pour accéder à « la recherche ».
Brillant avenir que celui de chercheur, la crème de la crème
de la société, celui par qui le progrès et le savoir arrivent.
Le chercheur innocent, qui cherche sans se préoccuper des autres ni de la
politique, le chercheur confiant, qui ne se démonte pas lorsque tout ne
fonctionne pas comme prévu, le chercheur fou qui, passionné par son domaine,
peut passer des nuits entières dans son labo à travailler.
Et bien j’y suis.
J’ai une solide formation de 5 ans, ajoutée à presque 3 ans de doctorat.
Pour certains, je fais partie de « l’élite ». Pour d’autres, plus
terre à terre, j’ai simplement choisi une voie ingrate et mal rémunérée.
Si j’ai commencé mon doctorat pleine d’enthousiasme, c’est
que je me suis rapidement aperçue que, à terme, je voulais diriger ma propre
équipe de recherche. Avoir mon propre sujet de recherche, chercher moi-même des
fonds pour le financer, et embaucher du personnel pour travailler sur mes
idées.
Encore une histoire de « haut de l’échelle ».
Mon ambition me dévore.
Sur le coup, mon objectif était à relativement long terme,
puisqu’il me laissait entre 5 et 10 ans pour y parvenir.
La nature étant fichtrement bien faite, il m’aura simplement fallu une
immersion de 3 ans dans la recherche pour anéantir toutes mes illusions sur ce
milieu.
Non, le chercheur n’est pas innocent, mais n’hésite pas à
enrober ses (ridiculeusement petites) découvertes dans un magnifique paquet
cadeau pour le vendre à un magazine scientifique aussi vendeur et racoleur que
Gala ou Voici.
Le chercheur calcule comment trouver plus vite, et mieux que son collègue à l’autre
bout du pays. Ou mieux le vendre, au pire. Après tout, c’est pareil.
On peut aussi lui voler son idée, si on trouve plus vite, tout est permis.
Un peu de politique au milieu et des contacts adéquats aideront également à l’affaire.
Après tout, un bon scientifique est aussi quelqu’un qui sait monter de bonnes
collaborations.
Le chercheur n’est pas non plus confiant, il est rongé par
le doute.
Que faire lorsqu’un résultat s’avère non reproductible ? Le reproduire une
troisième fois ? Se dire que l’on a peut être tout simplement oublié d’ajouter
tel ou tel produit ?
Et que faire si l’on ne trouve pas assez vite ?
Si notre CV ne se remplit pas de trouvailles toutes plus indispensables les
unes des autres ?
Manque de chance ?
Manque de talent ?
Et le chef, plus très confiant non plus car se faisant concurrencer par un chef
plus performant, qui, un jour de mauvais temps, passe ses nerfs sur le
chercheur, le mettant plus bas que terre, le tout en lui demandant d’augmenter
la productivité... que lui répondre ?
Je bosse 11h par jour, connard, je pense à ton putain de
projet en me couchant le soir, ainsi qu’une partie de mes week-ends, ça me bouffe
de l’intérieur, que veux tu que je fasse de plus ?
Que j’invente la science ?
Que je crée une nature qui n’existe pas mais qui plait à ta théorie fumeuse et
te permettrait de frimer devant ton pote chef qui te concurrence ?
De quoi, la confiance en moi ? La même confiance que tu as sauvagement
trucidé un jour de mauvais temps, celle là ? C’est celle là qu’il faut que
je garde ? Vieux fou vas...
Le chercheur est fou, ça, c’est une idée reçue, mais c’est aussi
la vérité. Certains le sont par passion pour la science, d’autres le sont
devenus par frustration, mais oui, ils sont fous, et s’ils ne le sont pas
encore, ils seront à lier d’ici quelques années.
Picoré par la science, dégusté par la frustration d’être sous payé, mangé par
la concurrence et dévoré par son égo, le chercheur devient barge.
Cela est-il supposé me donner envie de devenir comme cela ?
Est-ce « ça » qui m’a motivé à me lancer dans la recherche ?